VOL. 13 | HIVER 2013

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Table des matières

Philosophie et existence

C’est au 19ème siècle que la réflexion sur l’existence humaine, dans sa complexité et sa finitude, est devenue un thème majeur des travaux philosophiques et littéraires. Prenant racine dans les œuvres de Dostoïevski, Kafka, Kierkegaard et Nietzsche – pour ne nommer que ceux-ci –, ce n’est pourtant qu’au 20ème siècle que l’existentialisme, en tant que mouvement intellectuel plus ou moins endossé, apparaît. Pour les penseurs de ce courant, l’existence, notamment dans son opposition à l’essence et au néant, est plus qu’un simple attribut : elle est la condition de tout être. Ainsi, si le regard du philosophe est toujours tourné vers l’être, il l’est en premier lieu vers l’être de l’homme.

Toutefois, la pensée de l’existence est loin de se réduire à l’existentialisme et rejoint, au contraire, de nombreux problèmes incontournables de la réflexion philosophique qui traversent l’histoire de la philosophie jusqu’aux débats contemporains. Ceux-ci vont des preuves ontologiques de l’existence de Dieu à l’analyse des classes logiques, en passant par le statut de l’œuvre d’art et l’opposition générale entre réalisme et idéalisme.  Le titre de notre dossier, « Philosophie et existence », voulait rendre justice à cet éventail de significations et permettre de rendre compte du thème proposé sous une multiplicité d’angles, d’y emprunter différents chemins. C’est ainsi que les textes qui constituent ce dossier explorent avec profit différentes régions du champ de possibilités ouvert par le titre.

Tout d’abord, Marion Avarguès propose une étude sur le rôle de la parabole dans le bouddhismeMahâyâna. C’est à travers l’examen du Sûtra du lotus – fragment des enseignements du Bouddha mis en écrits – que l’auteure tente de mettre en lumière l’emploi de la parabole comme « expédient salvifique », c’est-à-dire comme moyen mis en œuvre par le maître spirituel (bodhisattva) en vue de guider l’adepte vers l’expérience de la vacuitéDans cette perspective, l’auteure propose d’abord une analyse minutieuse de la parabole du chapitre IV du Sûtra du lotus. Cet examen lui permet ensuite une réflexion plus large sur la fonction de la parabole – en tant qu’elle est constituée de métaphores et d’images – dans le bouddhisme ainsi que, plus précisément, dans la quête mystique et existentielle de la vacuité.

Ensuite, Pierre-Louis Gosselin-Lavoie propose une réflexion sur « l’appel » à la restructuration de l’existence chez Pascal et Kierkegaard. Plus précisément, c’est à travers l’étude du Pari de Pascal et des analyses kierkegaardiennes que l’auteur tente de mettre en évidence l’importance, pour les deux philosophes, d’une réappropriation de l’existence, ou, autrement dit, d’une volonté de transformation de celle-ci. Dans cette perspective, Pascal et Kierkegaard thématisent différemment un même enjeu : celui de la nécessité d’une décision existentielle à laquelle devra être confronté le lecteur. Or, pour que le choix puisse se proposer de manière intimement décisive, il convient de tracer des chemins par lesquels le lecteur se retrouve face à lui-même, impliqué profondément dans le parcours réformateur, dans la crise qui peu à peu prend forme. C’est ce geste, sans lequel « l’appel » ne saurait être entendu, qui constitue l’objet de cette étude.

Enfin, Samuel Montplaisir cherche à montrer l’indépendance de deux faits communément corrélés : le fait de savoir que p – le fait auquel réfère un énoncé p – est le cas et le fait de savoir que « p » – la proposition exprimée par le même énoncé p – est vrai. Pour ce faire, l’auteur s’attaque à une des certitudes les plus célèbres et les plus débattues : celle exprimée par le cogito de Descartes. La raison de ce choix est que si l’autonomie entre le fait de savoir que j’existe et la vérité de l’énoncé « j’existe » est établie, c’est-à-dire si la thèse est avérée pour ce cas réputé indubitable, l’indépendance des deux faits identifiés plus haut sera gagnée par principe pour tout autre cas de figure. Naviguant entre plusieurs scénarios sceptiques et discutant avec la théorie infaillibiliste de Peter Unger, l’auteur pose dans l’ensemble des questions cruciales sur les ponts et les fossés présents entre le langage et la connaissance.

JOËL BEGIN, MARIE-CHRISTINE LAMONTAGNE ET CATHERINE RIOUX